Le 10 novembre (Tashkent, Ouzbekistan)
C est bien navrant qu'il faille a échéance régulière cracher son petit quota de fiel pour se sentir enfin un peu mieux, mais, il faut bien qu il y ait un peu de fondement à l'idée qu'écrire et dire peuvent aider a conjurer.
Quoi qu il en soit, mes petits persiflages d hier me laissent enfin plus libres pour aussi entreprendre de dire la beauté et les mystères que l on trouve ici. disons d emblée qu on les découvre plus facilement sous ce soleil aujourd'hui revenu après la neige d hier, disons aussi qu ils sont plus accessibles a mesure qu on s éloigne de tout ce que le pays compte d usines bancales et de banlieues poussiéreuses.
Boukhara et Samarcande, bien impossible de ne pas se trouver sidere par la rigueur de cette architecture qu on dirait dérivée d un livre de mathématiques. La teinte de la brique équilibre celles des carreaux de faïence et le bleu du ciel immense, et la force suggestive de cet art décoratif comprime par l interdit de toute figuration est saisissante. On dirait ces mosquées ou ces madrasas descendues du ciel bien plus que sorties de terre, d autant qu a force de restaurations a l identique elles tranchent absolument sur le reste du bâti, délabré, poussiéreux, soviétique dans le meilleur des cas, de fortune bien souvent.
Tout cela est bien artificiel, et l on voit si bien les efforts de l Intourist pour attirer ce qu elle pouvait de voyageurs a devises, mais précisément l artifice de ces restaurations trop
parfaites rehausse encore ce que ces constructions ont d irréel. Les voila presque totalement abstraites de leur temps, sans plus d attache dans la ville dont elles sont pourtant les emblèmes,
sans rapport non plus avec ceux qui les battirent.
...
le 17 novembre (Shymkent, Kazakhstan)
je me relis a quelques jours de distance, depuis l autre cote de la frontière, cette fois au Kazakhstan. Et je trouve que décidément je fais beaucoup d efforts et de circonvolutions pour ne pas
raconter ce que je vis... j entame donc a compter de la minute qui va suivre un ample mouvement de transfert de fusil d une épaule sur l autre, et je déballe :
ne revenons pas sur le séjour turkmène, souhaitons bon courage a Fairghal que j ai rencontre a Tahkent, qui y sera bientôt, et qui dans quelques semaines sera le premier Irlandais a avoir réalise
une circumnavigation du globe a bicyclette.
voila donc ce que furent mes jours depuis l entrée au pays de Monsieur Karimov, ou l on a juge utile depuis 20 ans de créer de toutes pièces un formidable culte de la personnalité a, tenez-vous
bien, ca aurait pu être Attila ou Barbe Bleue, non c est Tamerlan !, le pays de M. KArimov ou, si j en crois la section préhistorique du musée de l Histoire du peuple ouzbeks, l homo Sapiens prit
l aspect définitif que nous lui connaissons.
réglons d entrée une première question, celle de mes nuits. Si je passe sous silence celles passées dans une splendide chambre a Boukhara puis a Samarcande avec G., je n ai eu pour le moment que
deux fois a subir l hôtellerie post-soviétique partiellement rénovée, en tout et pour tout. Pour ma part je finis presque par m y habituer sottement, mais je promène mon vélo et ma petite gueule
dans des pays ou a la question '' Hôtel ou est-ce - auberge -excusez - s il vous plait'' (j essaie de retranscrire comme je peux le niveau stratosphérique que j atteins dans la langue de
Molotov), on répond couramment : venez donc chez moi. Chaque après-midi, a partir de 15 h, je compte fébrilement les minutes et je regarde tomber le soleil, toujours trop vite, et d ailleurs c
est aussi les heures ou sur mon vélo je trouve une énergie un peu paniquée que je n ai jamais dans le froid du matin, mais au fond de moi je sais bien que cette peur de la nuit est factice,
personne jamais ne me laissera passer la nuit dehors. Il faut dire que par le temps qu il fait, on aurait aussi vite fait de me tuer, le résultat ne serait pas diffèrent.
Les paysages que je traverse, et que j ai le temps de scruter sans fin, qui changent lentement a mesure que je pousse vers le nord et l Est, sont tantot splendides, tantôt monotones, parfois
franchement laids aux abords de Tashkent. Le relief est de plus en plus marque, et les grandes platitudes encotonnées autour de Boukhara ont laisse la place aux contreforts de chaines vers
lesquelles je me dirige pour gagner Almaty. Le coton lui-même a disparu, j ai roule depuis Tashkent au milieu de prairies desséchées qui attendent pour bientôt leur couverture de neige, au milieu
de la steppe, plus pelée encore, au sol apparent, avec quelques rares troupeaux, moutons ou dromadaires. Des villes et des villages traverses, il y aurait beaucoup a dire, et c est l image et le
son qu il faudrait convoquer, pour donner a voir la poussière, une circulation qui est un hommage de chaque instant aux grands principes du darwinisme, un bâti hétéroclite ou prédomine la
déglingue, comme ailleurs, des commerces ou des échoppes qui semblent tous être les mêmes et dont on a peine a imaginer qu ils font vivre ceux qui les tiennent, les bazars qui comme peut-être
autrefois dégoulinent de tout ce que la Chine peut produire, ou l on trouve tout absolument tout y compris des chambres a air au format aberrant de la roue arrière de mon attelage, une voirie et
une signalétique aberrantes, la première notamment pour ses fosses qui bordent la route et qui m ont valu une méchante chute et une grosse frayeur l autre soir, en arrivant trop tard a Sariagash,
la seconde parce qu elle n existe pas, du tout. Ou quand elle existe, elle est un gag, comme ce panneau gigantesque a la sortie de Tashkent, avec des ramifications jusqu'à
Volgograd-Kiev-Varsovie-Gamburg.
Oui, Gamburg, parce que, rions un peu sottement, quand en russe on transcrit de l alphabet latin, le H selon les cas devient G ou KH ( le X de l alphabet cyrillique, qui se prononce comme un peu
le ch allemand mais plus proche encore du raclement de gorge d une créature sous l emprise du demon). Donc Hollande devient Gallandia, et Hello devient KHello, ou plutot RRRRRello,
débrouillez-vous pour suivre !
Je m egare.
paysages varies, donc, merci Monsieur de Lapalisse, avec presque toujours pour point commun une ampleur saisissante, le regard parait embrasser plus ici qu ailleurs en Europe, l horizon
semble un peu plus loin toujours, et dans ce que l œil saisit, la marque humaine est souvent bien discrète, et c est heureux au demeurant car ici la main humaine a longtemps été soviétique et n a
pas eu exclusivement le souci du beau. Il me semble traverser des lieux, par ce froid mordant, qui tous sont apres a l homme et sans cesse je m étonne m émerveillé ou me désole de ce qu il faut
de ténacité et de force pour y vivre. Jour après jour je pense a l Europe, et elle me semble un jardin, un miracle, une minuscule péninsule, un promontoire, loin a l ouest de ces immensités, je
pense a ces pays de la taille d une région, a ces paysages qui tous ou presque la-bas pourraient être signes comme on le fait d une toile, ou le prochain clocher n est jamais loin.
et jour après jour je mesure combien je sors moi-même de ces paysages et de ces lieux si riches et si choyés, combien je suis une petite chose délicate et raffinée, si parfaitement déplacée ici,
si heureuse aussi de s y frotter. Car ces endroits rugueux que je découvre sont la patrie de gens qui paraissent tailles dans la même roche que leurs collines. Ici l on attaque la vodka des le
déjeuner, et quand il n y en a plus on descend racheter 2 bouteilles de Baryn chez l épicier, ici on nage dans le gras de mouton, on l aspire, on s en imbibe et il coule dans le sang, c est
peut-être la seule façon de tenir face au froid, ici on mange autant de viande qu il y a de moutons dans la steppe tout autour, ici on frit, on rissole, on oint de tous les gras possibles tout ce
qu on finira par ingérer a pleines mains, quatre doigts joints et le pouce pour faire levier, j ai appris, ici on part aux chiottes le papier a la main par - 15, on dort par terre sur de petits
matelas, a la chaleur du poêle a charbon quand on dort dans la bonne pièce, on se mouche en plein bazar de la plus vieille façon du monde, on chique un mélange de tabac et d opium qui fait le
mollard verdâtre au milieu des etals, on parle fort, on rigole gras, on te montre des femmes russes a la télé d un air entendu, on rote et on pète, on reprend un peu de gras de mouton et pour
honorer l invite on lui garde la meilleure part, crue, le gras de cul de mouton a queue grasse, ici la bouffe dégouline de gras sur tes doigts et il fait si froid que ca fige sur tes doigts comme
la cire d une bougie, ici la dernière fois qu on a du entendre le mot féminisme ca devait être un soir ou on était allé jusqu a la 5eme bouteille de vodka, et on a tellement ri qu on s en
souvient encore, ici avec ca on est les gens les plus exquis du monde, on te panse la main que tu t es ouverte, on t offre chaussettes et chaussures parce qu en l occurrence le pouilleux c est
toi, et celui qui pue c est toi aussi, ici les enfants sont choyés comme jamais, la porte s ouvre toujours pour accueillir un de plus, ici pour l anniversaire chacun se fend d un bout de discours
et c est comme une joute, honneur a qui parle le mieux, d ailleurs ici on parle, on parle énormément, et pour avoir passe la journée au Bazar, avec mes hôtes qui y tiennent une échoppe, il m a
semble qu on y parle bien plus qu on prétend y travailler, on parle sans fin.
comme quoi tout est relatif... si tu nous entendais nous battre ici, au pays de la liberté quotidienne, pour des petits n'importe quoi, sans intérêt,matraqués par des messes télévisuelles, radiophoniques et journalistiques orchestrées par des clônes à genoux. La mode est au "sondage" minute, dans la presse, dans les radios, sur internet. Les questions posées sont bien sûr du niveau élevé que justifie notre riche civilisation pensante: faut-il imposer le couvre-feu à des mômes de 14 ans fichés "petite délinquance" après 23 heures. et le bon français moyen répond conscienseusement oui ou non sans se demander si on a prévu un tatouage pour repérer les "petits délinquants de nuit" ou si on va systématiquement arrêté tous les jeunots qui traînent dans les rues, surtout s'ils sont de couleur et dans le 93.et chacun d'y aller sur le couplet des parents qui sont responsables (toi tu sais pas, t'as pas d'enfant... )du mauvais élevage de leurs couvées dans des tours sans jardins, sans travail, sans tout quoi...mais y z on qu'à faire un effort quand même! tu vois,nous, on l'utilise notre liberté à discutailler sur des choses fausses ou faussées, juste pour dire. pendant ce temps là, les banques n'ont jamais été aussi riches; les traders commandent de nouvelles BMW, la dette nationale prend les dimensions d'un champignon atomique......... et pourtant, on est heureux....................
Bravo on t'admire ! Courage tu as déjà fait à vue de carte plus ou moins , approximativement , la moitié du projet. le Pont Euxin était plus plaisant que l'Asie centrale . Penses à Alexandra David N.Ton expérience te restera un souvnir ineffacable . Je te souhaite de trouver un hivernage pas trop inconfortable , d'après le net il y a combien de choses intéressantes dans les villes kasakh dont tu auras à te remplir la vue , l'ouï et l'odorat ( je me souviens encore des parfums des marchés marocains ) il serait dommage que tu ne retienne pas que le meilleur de ce voyage éprouvant sans doute . Nous te suivons et t'envoyons nos sentiments de grand père . J M
pardon pour l'erreur!!!! je viens d'apprendre de la mère que tu avais 2 fils j'adore les prénoms.... hyper kitch, d'ici que tu rentres ce sera certainement à la mode!!!!! et joe? je m'ennuie, prends qques photos svp bisous
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